Francais


Basculer dans l’obscurité d’un monde qui se meurt
Texte de Mirna Boyadjian

Les nuits obscures au-delà de l’obscur
Et les jours chaque jour plus gris que celui d’avant.
Comme l’assaut d’on ne sait quel glaucome froid
assombrissant le monde sous sa taie.
Extrait tiré de La Route de Cormac McCarthy

Une autre route s’est tracée au milieu d’un monde en ruine, une route obscure, mais non moins intrigante que celles empruntées jusqu’ici. Approcher les œuvres de Simon Bilodeau, c’est pressentir l’étiolement d’un monde, le nôtre peut-être. Pour cette seconde exposition à Art Mûr, l’artiste déploie un imaginaire de la fin en nous proposant un parcours dans un univers à l’atmosphère cendrée qui n’est pas sans rappeler l’installation Tu n’es qu’une étoile présentée en 2009. Outre la palette chromatique aux dégradées de noir, de gris et de blanc, le recours au miroir (re)compose le décor de l’œuvre, insufflant le sentiment d’une étrange familiarité. Seulement, la scène diffère, l’artiste s’aventure plus loin, vers de nouvelles procédures esthétiques, qui, tout en reflétant le regard désenchanté qu’il pose sur la société actuelle, annoncent des lendemains tout aussi sombres.

Majestueux, un aigle de miroirs aux ailes étendues orne le mur à l’entrée des salles. Symbole de puissance et d’autorité, la représentation de l’oiseau fut adoptée par maintes entités politiques depuis l’empire romain, notamment par l’Allemagne, le Mexique et les États-Unis, pour ne nommer que ceux-là1. Si d’ordinaire l’aigle incarne l’emblème du pouvoir, ici, sa présence préfigure une vision critique à l’égard de l’insatiable désir de domination qui dicte la conduite des gouvernements, laissant présager des désastres de plus en plus tragiques, voire une catastrophe finale. Avec titre de l’expo, l’artiste sonde les replis de cette possible réalité et, dans la foulée, interroge la valeur que l’on accorde aux choses.

« Je vais brûler certains tableaux », me lance l’artiste lors d’une rencontre dans son atelier, « N’est-ce pas là le destin de toute chose : disparaître?». De cette expérience d’incinération, il ne reste que les cendres amoncelées et légendées à la manière des plaques commémoratives, identifiant le titre des œuvres brûlées. Sans doute, ces vestiges expriment l’anéantissement et l’absence, mais elles éveillent également la présence de ce qui a été perdu. La ruine, écrit André Habib, est « l’image du passage (spatial et temporel), d’un devenir matériel, tragique et inéluctable »2. Or, devant les peintures encore intactes qui habitent la pièce, le promeneur ne peut qu’anticiper leur consommation prochaine. Ainsi, cette esthétique de la destruction qui, en l’espèce, se manifeste dans plusieurs projets de l’artiste, nous amène à reconsidérer la notion même de création dans son acception large.

Entre désenchantement et fascination, les mises en scène réalisées par Simon Bilodeau inspirent des réflexions philosophiques, ravivant certaines questions existentielles déjà soulevées par Paul Gauguin à la fin du dix-neuvième siècle: D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? Tapi dans l’ombre du monde d’où il peut poser un regard éclairé, l’artiste poursuit sa route en nous offrant d’explorer ses traces et ses paysages.

English

Hope is Greater than Fear – Simon Bilodeau
Text by Amber Berson

In 1970, the American artist John Baldessari burnt all his canvases and kept the ashes as artwork. A year later, he created the participative, performance work I Will Not Make Any More Boring Art. Similarly inspired, Montreal-based artist Simon Bilodeau 'destroys' his artwork and then displays the results in the gallery.

Where Baldessari was wiping the slate clean, starting new as a reaction to capitalism, Bilodeau is more interested in presenting a tableau vivant of panoptic power. Bilodeau does not see the process as that of destruction. Like an alchemist, he is transforming matter, creating a more powerful product. His subject is fear and destruction itself, and his practise explores ideas of power signifiers and our tenacious understanding of authority. Compared to Baldessari, who destroyed everything to start over at zero, Bilodeau works with ashes. Ultimately, the art is the ashes.

Where earlier work played with the notion of artist as authority figure playfully manipulating signatures as a means to represent authorship through branding as a manifestation of power-play this new show presents a grimmer depiction of power. An eagle outstretched which at once conjures the Nazi party, American patriotism, and also, First Nations imagery, is built up from shards of broken mirror. The audience is confronted by immediate and overwhelming symbols of imperialism. Further in the gallery, a large grey flag. The flag itself is a means of communication, at first used on military battlefields and then as a general means of signalling and identifying, and act specifically as patriotic symbols. However, the grey in Bilodeau's flag, although reminiscent of the black flags of the anarchist movement, or even the Jolly Roger , is empty, resonating no meaning other than that which the viewer prescribes.

While it acts to cast a somber tone over the gallery, serving a reminder of the authority, power and magic that permeates the exhibit, the conflict which Bilodeau presents is both imaginary and omnipresent. Instead of naming specific wars, Bilodeau's oeuvre speaks to the idea of conflict in general. Coupled with the burnt canvasses from his previous exhibitions, the rest of the exhibit seems to resemble an archeological dig – presenting traces of conflict within our day to day existence. Building on these ruins, Bilodeau offers a voice of dissonance – a breath of fight against the oppression and violence of our culture of fear. While dark, Bilodeau's art is a hopeful.

The strongest act of resistance is to believe and to hope. To educate, to discuss and to (visually) demonstrate ones dissent or disapproval are exceptionally useful tactics. Bilodeau harnesses hope (which is perhaps a synonym for remembering) to take steps towards an art in which we can see, rising from the ashes, a glimmer of a future beyond fear.